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John Steinbeck "Les raisins de la colère"

John Steinbeck est une figure de la littérature américaine qui n’est plus à présenter tant son nom est souvent associé à la dénonciation des dérives du capitalisme financier et au sort infligé aux victimes du crash boursier survenu aux États-Unis en 1929.

Cela dit, cet aspect de l’œuvre du grand écrivain américain occulte parfois ses qualités stylistiques et son approche littéraire qui n’ont pourtant rien à envier aux plus grands ciseleurs de la littérature bien que ses romans ne sortent pas des cadres classique ou réaliste et que l’auteur ne se soit pas aventuré dans des expérimentations modernistes ou poétiques.

Il se place pourtant à la tête des grands écrivains américains de la première moitié du 20e siècle tels que William Faulkner, F. Scott Fitzgerald et Sinclair Lewis, et selon moi il surpasse Ernest Hemingway dans sa manière de construire ses récits et de créer une atmosphère romanesque, même si les critiques contemporains ont tendance à éclipser Steinbeck au profit de Hemingway, malheureusement.

J’ai été convaincu de tout cela après la relecture du roman le plus connu de John Steinbeck, Les raisins de la colère (1939), un livre que j’avais lu il y a longtemps, aux moins deux fois à des moments espacés, et je me demandais si je pourrais trouver du plaisir à me replonger dans l’épopée de la famille Joad qui, suite à la crise de 1929, a été chassée de ses terres du Midwest « par les bulldozers » et s’en va à la recherche de jours meilleurs dans la Californie riche et prospère vantée dans les prospectus.

Je me demandais qu’est-ce qui pourrait emplir les 640 pages de la traduction française que je possède et faire de ce livre un roman au sens propre du terme et non pas un simple témoignage ou reportage malgré la noblesse d’une telle entreprise.

Et encore une fois la magie de Steinbeck a opéré, je ne me suis pas lassé une seule seconde à la lecture de cette aventure humaine faite de hauts et de bas, de douleur et de solidarité, mais aussi de méfiance et d’emportements parfois, autour de ces personnages si différents malgré l’unité de destin qui les relie ; des personnages plus vrais que nature grâce à la plume de Steinbeck qui a su exprimer les nuances des membres de la famille Joad dont on peut citer entre autres : Tom, le fils attendu qui revient de prison et qui ne regrette pas l’acte qui l’y a conduit, Al, l’ancien marginal oisif qui assume à présent ses responsabilités en devenant un pro de la mécanique, la mère, solide et encourageante mais qui peut se révéler être d’un incroyable entêtement et d’une inquiétante témérité, le père, taciturne et un peu en retrait, sans oublier l’ami de la famille, « l’ancien pasteur » Casy, qui s’interroge sur le sens de sa vie passée en tant qu’homme d’église et sur le sens de l’existence en général.  

Des questionnements et des réflexions il y en a à foison dans ce roman. On les trouve dans des chapitres séparés qui analysent le processus capitaliste, l’édification historique des États-Unis après l’extermination des Indiens, ou encore le marketing naissant et les publicités étalées sur les autoroutes américaines. Ainsi, en plus des magnifiques descriptions de la nature du Midwest ou du Sud profond, Steinbeck nous offre des passages saisissants servis par une écriture incisive qui dépeint les transformations urbaines rapides survenues aux USA dans les années 1920 et 1930, au profit de certains et au détriment des autres. Ce réalisme urbain n’est pas sans rappeler les scènes décrites par F. Scott Fitzgerald dans Gatsby Le Magnifique ou ses autres œuvres, même si bien entendu le décor n’est pas le même et les protagonistes n’appartiennent pas à la même classe sociale.

Il y a aussi dans Les raisins de la colère une série de personnages qui apparaissent et disparaissent sur la route de la Famille Joad mais qui sont tous extrêmement bien incarnés grâce au vocabulaire précis de Steinbeck et à ses dialogues ciselés qui se nourrissent de l’argot des paysans américains, ce qui n’enlève rien au rythme et à la musicalité du style dans son ensemble.

Il convient également de souligner que l’écrivain américain aborde dans un épisode du récit la question du puritanisme chrétien et ses dérives dans l’Amérique profonde, de même que le personnage de « l’ancien pasteur » Casy s’interroge sur ce que la religion peut apporter ou non afin d’améliorer le sort des être humains, et ce sont là des thèmes qui n’étaient pas très abordés dans la littérature américaine de cette époque, en dehors de l’écrivain satiriste Sinclair Lewis.

Pour ce qui est de l’accueil réservé à la famille Joad en Californie ainsi qu’à tous ceux qui, comme eux, ont tout laissé derrière eux pour chercher l’Eldorado, je préfère ne pas gâcher le plaisir de la lecture de ceux ou celles qui n’ont pas encore lu le livre. Je peux cependant dire que du début à la fin Les raisins de la colère se lit comme une histoire passionnante avec ses dimensions humaines, sociales et politiques, mais on peut également selon différents niveaux de lecture interpréter tel ou tel évènement de manière particulière, ou alors voir une signification symbolique dans certaines situations ou scènes décrites dans le roman.

On peut, par exemple, voir dans la ruée des fermiers vers la Californie un parallèle avec la Conquête de l’Ouest qui avait aboutit à la construction des grandes villes américaines dans cette région. Seulement cela s’était fait au prix de l’extermination des Indiens, et c’est comme si une malédiction poursuivait les habitants de l’Amérique profonde, mais une malédiction qui s’abat malheureusement sur les plus faibles mais épargne les puissants, comme c’est souvent le cas avec l’exploitation capitaliste.

Steinbeck évoque également les Mexicains chassés de leurs terres par les pionniers anglosaxons parce ces derniers avaient faim et qu’ils « désiraient » la terre, mais plus tard ces mêmes pionniers ne prennent plus soin de la terre qu’ils ont convoitée et des hommes plus puissants viennent s’accaparer les terrains et disent aux fermiers comment ils doivent s’y prendre et ils les exploitent jusqu’à ce que les paysans s’en aillent eux aussi comme les Mexicains…

On trouve également des paraboles dans un autre grand roman de John Steinbeck, Des Souris et des Hommes, paru en 1937, et il convient aussi de rappeler que certains ont perçu dans les œuvres de Steinbeck des références bibliques.

Voilà autant de raisons qui lui ont sans doute fait obtenir en 1962 le Prix Nobel de littérature qu’il mérite amplement (et peut-être plus que d’autres lauréats) malgré les polémiques qui ont éclaté à l’époque, et malgré aussi l’excès de modestie de l’auteur qui aurait laissé entendre en privé qu’il ne méritait pas le Nobel…

 

Lyes Ferhani

 

 

 

 

Tag(s) : #Littérature
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