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Les métissages limpides de Rachid Taha

Parmi les nombreux artistes algériens qui se sont illustrés dans le domaine de la fusion musicale deux noms reviennent souvent dans les esprits : Rachid Taha et le groupe Gnawa Diffusion.

Le premier mot qui me vient quand je pense au regretté Rachid Taha est « audacieux ». Le mot peut paraître  galvaudé mais je trouve que sa manière de croiser différents styles musicaux avait quelque chose d’audacieux et de surprenant, qui fait que l’auditeur peut ressentir souvent une forme de jubilation instantanée, ou différée si certains morceaux nécessitent plusieurs écoutes pour les apprécier à leur juste mesure. En résumé, le mélange des styles chez Rachid Taha provoque des étincelles, comme le frottement de deux pierres différentes fait jaillir le feu. 

Cela provient sans doute du fait qu’il a été influencé par la mouvance punk (entre autres influences) et principalement le groupe anglais The Clash, dont il reprendra un titre en version arabe (Rock the Casbah), de même qu’il collaborera, plusieurs fois, avec Mick Jones, guitariste du légendaire groupe britannique.

Beaucoup ont aimé les morceaux où Taha mêlait accords de guitare tranchants et mélodies moyen-orientales sophistiquées, empruntes de l’influence de Oum Kalthoum, la grande cantatrice égyptienne. En effet, des titres comme  Nokta, Fokt Fokt ou  Zoom sur Oum constituent, si l’on peut dire, la marque de fabrique de Rahid Taha.  Cependant, c’est avec le titre Bonjour que j’ai réellement été  impressionné par la capacité de Rachid à brasser des musiques provenant apparemment d’horizons différents.

La chanson est un duo avec Gaëtan Roussel, leadeur du groupe Louise Attaque. Elle débute comme une ballade de rock français comme on peut en écouter parfois, avec quelques accords sur guitare sèche, avant que ne vienne s’y déposer la voix  enthousiaste et contagieuse de Rachid Taha, rattrapée par le mandole-luth de Hakim Hamadouche, l’éternel complice, grâce à qui la mélodie chaâbie s’insinue finement dans le morceau, avec la grâce du détachement qui permet même une accélération punk/rock du rythme dans la dernière partie de la chanson. Ce subtil mélange de chaâbi et de sonorités occidentales s’entend également sur d’autres titres comme Wesh (N’amal) où la Country croise la musique de notre terroir, comme si elles étaient faites pour se rencontrer, dans un habile jeu d’ombres et lumières.

Même effet ressenti sur le plus récent Baba, en duo avec le groupe La Caravane Passe, qui mêle cette fois la musique tzigane au chaâbi, un genre que Taha a grandement contribué à faire connaitre dans le monde avec ses reprises de Dahaman El Harachi : Ya Rayeh, Ach Dani et Kiffach Rah où Taha a su relever l’aspect  rock ( voire punk) de l’introduction.

On ne peut parler de Rachid Taha sans évoquer le Raï qu’il a aussi adapté à sa façon bien à lui. En témoigne Djamila (sur le mariage forcé) où les claviers électros ont l’air de se perdre dans des labyrinthes cosmiques, sur une mélodie faussement naïve, qui n’est pas sans  rappeler Lou Reed et le Velvet Underground, autres influences revendiquées par l’artiste algérien.

Dans le même registre Raï, il y a le percutant Ida, avec ses trompettes héroïques et son groove imposant, appuyé par une solide section rythmique (batterie et basse).

Il a y évidemment d’autres titres qui témoignent de l’originalité du style de Rachid Taha. Je ne peux pas oublier le sublime Stenna, avec un son proche de U2, et en prime une grande performance vocale de Taha, dont le timbre peut faire penser, ici, au chanteur Bono. D’aucuns feront, sans doute, remarquer que le producteur de Rachid Taha n’était autre que Brian Eno, qui produit également le groupe irlandais.  

D’ailleurs, on retrouve Brian sur le clip du single extrait de l’album posthume de Rachid Taha, Je suis Africain. Le clip, à lui seul, témoigne de la capacité qu’avait le chanteur disparu à rassembler des gens d’univers différents, car en effet on voit défiler, sur la vidéo, le groupe Zebda, des artistes de pop anglaise, aussi bien que des personnalités issues du rock ou du cinéma français, aux côtés de Catherine Ringer et même…Benjamin Biolay. Une diversité à l’image du l’éventail musical de Rachid Taha dont j’ai présenté mes  morceaux choisis, sans ordre chronologique ni classification selon les albums, comme on l’aura remarqué, mais avec la volonté de faire partager ce qui me plait chez cet artiste qui se définissait avant tout comme un rocker. Oui, un rocker chantant en arabe, qui a montré la voix à d’autres artistes, comme ses amis du groupe marocain Hoba Hoba Spirit.

Rest in peace  « Camarade ».

 

Lyes Ferhani

Tag(s) : #Musique
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